La French Connection de L'Indycar

Article du journal L’Équipe : Romain Grosjean, Sébastien Bourdais et Simon Pagenaud, la French Connection de l'IndyCar - L'Équipe

Les merguez sont faites maison. Difficile d’en trouver, sinon. Notre hôte, Olivier Boisson, ingénieur de course de l’écurie Dale Coyne Racing, les a donc préparées lui-même. Le saucisson qu’il sert en apéritif est une spécialité de son Jura natal. Sébastien Bourdais a ramené une côte de boeuf. Trouvée dans un supermarché local, elle grille sur le barbecue placé entre les camping-cars mitoyens. Sur la table de camping sont posées les patates douces ramenées par Romain Grosjean, le nouveau pilote de l’écurie américaine, depuis son propre motorhome garé en contrebas. Au dessert ? Les macarons préparés par la belle-fille d’Olivier.

Un bout de France en plein coeur des États-Unis, à Birmingham, Alabama, moins de 48 heures avant le Grand Prix qui va se courir sur le circuit de Barber pour le lancement de la saison d’IndyCar, le Championnat américain de monoplaces. L’ambiance à la bonne franquette détonne quand on a en tête les images huppées de la Formule 1, véhiculées sur Netflix via la série Drive to survive.

« Entre pilotes, on est tous les uns à côté des autres dans nos camping-cars… »

Simon Pagenaud

Simon Pagenaud, devenu une star de la discipline depuis sa victoire dans les fameux 500 Miles d’Indianapolis en 2019, nous avait décrit cette ambiance unique, quelques heures auparavant: « C’est très différent de ce que l’on peut voir dans les paddocks de F1. Entre pilotes, on est tous les uns à côté des autres dans nos camping-cars… Tu ouvres la porte le matin, tu es avec ton café, ton concurrent est là. Il y en a qui ont des enfants, tout ça, donc c’est difficile de ne pas se dire bonjour et essayer de se connaître un petit peu, explique-t-il. Il y a une sorte de culture de la compétition, tout en faisant la part des choses en dehors. Cela ne veut pas dire que parfois il n’y a pas des discussions quand il s’est passé quelque chose d’anormal en course… mais on apprend à vivre ensemble. »

Et même si Pagenaud ne pourra pas rester dîner ce vendredi soir, l’occasion d’une photo et d’un moment entre Frenchies ne se refuse pas. D’autant que lui aussi n’est pas garé bien loin…

Pour cette première manche, Romain Grosjean s'est classé 7e des qualifications et 10e de la course. (C. Elise/L'Equipe)

Pour cette première manche, Romain Grosjean s’est classé 7e des qualifications et 10e de la course. (C. Elise/L’Equipe)

C’est ce monde plus convivial, mais pas forcément moins compétitif que la F1- d’autant que toutes les voitures ont une chance de remporter un GP, les écarts y sont moins grands qu’en Formule 1 - que Romain Grosjean a rejoint cette année, à 35 ans (le lendemain de cette rencontre), cinq mois à peine après le terrible crash à 220 km/h qui a marqué la fin de sa carrière en F1, mais qui aurait pu lui coûter bien plus.

Le 29 novembre dernier, lors du Grand Prix de Bahreïn, il était resté prisonnier du brasier dévorant sa Haas pendant 28 secondes, avant de parvenir à s’extirper du véhicule et à passer par-dessus la barrière de protection, malgré une cheville foulée, un genou cassé et des mains brûlées. Un miracle, il le sait : « Je suis passé à 5 secondes de la mort. »

« Ce qui me rend fier, c’est d’être là avec des gens qui aiment la course. Là où j’étais avant, on oubliait un peu ça… »

Romain Grosjean

Sa main gauche brûlée est encore en cicatrisation ; en février il nous disait toujours souffrir « 22 heures sur 24 ». Mais la passion de la course ne l’a pas quitté, et c’est aussi ce qui l’a attiré dans ce Championnat nord-américain. Au lendemain du petit barbecue, Grosjean participe à sa première séance de qualifications depuis son accident et brille avec une 7e position.

Son bonheur est simple : « Ce qui me rend fier, c’est d’être là avec des gens qui aiment la course. Là où j’étais avant, on oubliait un peu ça… Là, on a des gens d’abord passionnés, comme Dale (Coyne, le propriétaire de son équipe, ancien pilote) ou Rick (Ware, qui le sponsorise, lui aussi ex-pilote). »

Un vrai décalage avec la F1, selon lui : « On a des sponsors, donc il faut s’occuper de cela aussi. Mais ici, tu sais que ton boulot, c’est d’aller vite. Et quand on doit faire quelque chose, il n’y a pas trente-six étages de hiérarchie à convaincre. On fait confiance au pilote et on avance… », ajoute l’ancien pilote Lotus et Haas, qui n’hésite pas à ponctuer sa tirade d’un « et mort aux cons ! » qui en dit long.

Sébastien Bourdais roule en compétition aux Etats-Unis depuis 2003. Cette année, il veut ramener l'écurie Foyt au premier plan. (C. Elise/L'Equipe)

Sébastien Bourdais roule en compétition aux Etats-Unis depuis 2003. Cette année, il veut ramener l’écurie Foyt au premier plan. (C. Elise/L’Equipe)

En comparaison de Grosjean le rookie (débutant), Bourdais (42 ans) et Pagenaud (37 ans le 18 mai) sont des vétérans en IndyCar. Le premier roule en compétition aux États-Unis depuis 2003 - avec un passage en F1 entre 2008 et 2009. De 2004 à 2007, ce Manceau de naissance a amassé quatre titres d’affilée en Champ Car, un Championnat de monoplaces qui a ensuite fusionné avec la Indy Racing League pour enfanter l’IndyCar.

De quoi se faire un nom en Amérique, où le Floridien d’adoption a fondé sa famille. Roulant aujourd’hui sous l’étendard AJ Foyt, une légende de la course automobile dont il essaie de ramener l’équipe au premier plan, Bourdais a aussi joué un grand rôle dans le parcours de Pagenaud.

Simon Pagenaud estime que Sébastien Bourdais est « n grand frère » qui lui « ouvert la route ». (C. Elise/L'Equipe)

Simon Pagenaud estime que Sébastien Bourdais est « n grand frère » qui lui « ouvert la route ». (C. Elise/L’Equipe)

Celui-ci explique : « Seb, c’est un grand frère. Il a pavé la route pour moi aux États-Unis. Grâce à lui, à son succès, les Américains se sont intéressés aux Français. Ils se sont rendu compte qu’on allait vite ; qu’on avait une bonne école de formation ». Pagenaud a aussi un peu croisé Grosjean dans les catégories jeunes. « J’ai réussi à joindre Sébastien Bourdais fin 2005. Il m’a aidé à contacter des écuries, à faire des essais, il a passé des coups de fil… C’est lui qui m’a mis en relation avec Team Australia (en Champ Car Atlantic, une division tremplin qu’il a remportée en 2006). Il m’a ouvert la route et c’est un très bon ami depuis. On a partagé une voiture au Mans (le duo est arrivé deuxième des 24 Heures en 2011), on a une belle histoire avec Peugeot ensemble. De tous les pilotes sur le paddock, c’est lui dont je suis le plus proche… »

Le mythe des 500 Miles d’Indianapolis

En 2011, Pagenaud, qui était rentré en Europe pour s’aligner sur les courses d’endurance, traverse à nouveau l’Atlantique. Il débute sur ce même circuit de Barber, en Alabama, où on a retrouvé les trois Français mi-avril, puis disputera trois autres courses cette année-là avant de faire l’intégralité de la saison suivante, où il deviendra rookie de l’année 2012.

Depuis, il a aussi inscrit à son palmarès le Championnat en 2016, puis a atteint le sommet en remportant l’édition 2019 des mythiques 500 Miles d’Indianapolis, une course qui, étonnamment, pèse encore plus que le classement général de la saison. « Ça peut paraître paradoxal, mais c’est vraiment ça. C’est mythique, tous les pilotes en rêvent », explique Pagenaud, devenu un taulier dans la Team Penske, une des deux écuries leader du circuit.

C’est à Indianapolis que Sébastien Bourdais avait lui aussi failli perdre la vie, en mai 2017, après un accident en qualifications des 500 Miles. Un choc à 370 km/h contre une barrière de protection. Il avait eu le bassin compressé dans le cockpit, et souffrait de multiples fractures du pelvis et de la hanche droite.

« L’Indy est plus physique que la F1 »

Romain Grosjean

Pagenaud avait été un des premiers à se rendre à son chevet à l’hôpital. Kate, la femme d’Olivier Boisson, alors ingénieur de Bourdais et aujourd’hui celui de Grosjean, est encore bouleversée par le souvenir : « Dans ces moments-là, tu vois les liens entre eux… »

C’est une vraie famille que Romain Grosjean a rejointe. Une famille mais aussi une scène sportive sur laquelle, malgré son expérience, ses dix saisons de F1 marquées par dix podiums, il est un rookie qui doit faire ses preuves. Et d’abord s’adapter à une nouvelle conduite. « La différence la plus importante, c’est l’absence de direction assistée », explique-t-il, ajoutant même que « l’Indy, c’est plus physique que la F1… »

Une réalité qu’il découvre ce week-end d’avril à Barber, sur le circuit qui est justement considéré comme le plus éprouvant physiquement de la saison. Romain Grosjean a d’ailleurs sacrifié à une préparation spécifique pour ce nouveau challenge : « Épaules, biceps, avant-bras, dorsaux… En tout, j’ai pris deux kilos de muscles en peu de temps. » Les deux « anciens » Bourdais et Pagenaud le préviennent néanmoins : Barber, avec ses dénivelés, ses virages à l’aveugle et sa piste rendue plus rapide cette année, reste un défi. « C’est un circuit récent (construit en 2010), mais très physique, avec un style assez « à l’ancienne ». Couplé aux voitures sans direction assistée, il me rappelle la F1 des années 1980 ou 1990. Ça va vite, c’est très vallonné, très intense, tu dois être très concentré car tu n’as pas le droit à l’erreur », décrit Pagenaud.

Romain Grosjean le rookie de 35 ans aux côtés de Sébastien Bourdais l'ancien de 42 ans. (C. Elise/L'Equipe)

Romain Grosjean le rookie de 35 ans aux côtés de Sébastien Bourdais l’ancien de 42 ans. (C. Elise/L’Equipe)

La discussion passe alors de la course à venir à quelques vieilles « histoires de guerre » entre Grosjean et Bourdais, souvenir de leurs années dans les catégories jeunes, également dépourvues de ce confort technologique : « Le circuit de Malaisie… Le double-droite avant la ligne droite, tu prends tellement de force que tu penches ta tête à gauche, puis le bras droit commence à partir, puis c’est ton épaule, ensuite ta nuque, et d’un coup, c’est ton oeil qui part et tu te retrouves à ne plus voir qu’avec l’autre, à viser la trajectoire comme tu peux ! », se remémore Bourdais. Grosjean passe la seconde en évoquant l’ancien circuit de Barcelone, « où tu ne faisais pas le héros… »

Après une 12e place en Alabama, Simon Pagenaud s'est classé 3e en Floride puis 6e et 10e lors des deux courses au Texas. (C. Elise/L'Equipe)

Après une 12e place en Alabama, Simon Pagenaud s’est classé 3e en Floride puis 6e et 10e lors des deux courses au Texas. (C. Elise/L’Equipe)

Deux jours plus tard, Grosjean terminera dixième du Grand Prix d’Alabama, un vrai bon résultat pour un néophyte, d’autant que la voiture a connu un problème technique : la pédale des gaz ne remontait jamais à zéro. Bourdais, parti 16e, a réussi à remonter jusqu’à la 5e position.

Impasse au Texas

Pagenaud, dont les réglages l’ont bloqué en qualifs comme en course (12e), se projette déjà sur « Saint Pete », avec envie. Car dès le week-end suivant, notre trio se retrouve sur la piste à Saint Petersburg (Floride), où réside d’ailleurs Bourdais toute l’année. Cette fois sur un circuit urbain, après le routier en Alabama. Les résultats y seront un peu inversés : 3e place pour Pagenaud, 10e pour Bourdais, 13e pour Grosjean.

Le week-end dernier, au Texas, un troisième type de circuit, où les vitesses maximales peuvent atteindre 400 km/h, était au programme de la saison Indy. Cette fois, Grosjean a préféré faire l’impasse. « Je ne voulais pas imposer ce risque à mes proches », nous annonçait-il à Barber, où le miraculé de Bahreïn passait déjà un sacré gros cap mental. L’émotion l’avait d’ailleurs submergé un instant : « Je ne devrais pas le dire, mais j’ai pleuré dans la voiture avant la course, en pensant à ma femme et mes trois enfants. Puis je me suis dit : « C’est pas le moment, gamin ! » »

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Sympa cet article. Avec ambiance BBQ! :yum:

1 « J'aime »

Ca remet en perspective le métier de pilote de course avec les vrais cotés un peu oubliés par la F1 moderne …

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Même son on apprend pas grand chose, c’est toujours plaisant de voir des articles pour parler d’autre chose que d’accidents.

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